Un lien à renouer, l’édito de la présidente

L’année 2018 a mis en évidence le divorce entre les journalistes et une grande partie de la population. On connaissait déjà la méfiance croissante dont font l’objet les médias. Beaucoup de citoyens leur préfèrent désormais Facebook et le tout et n’importe quoi qui s’y trouve. Que les informations soient vérifiées et recoupées ou pas leur importe peu. Avec pour conséquence que des « fake news » manipulatrices et des thèses complotistes sont prises pour argent comptant sans sourciller. On vient d’en avoir des exemples frappants avec l’accord de l’ONU sur les migrations et avec l’attentat de Strasbourg. Outre la question de la confiance, certains tiennent tout simplement les médias traditionnels pour des reliques d’un autre temps, voués à disparaître comme la lampe à pétrole ou les employés de péages.

Ce divorce entre les médias et l’opinion a atteint son paroxysme avec le mouvement des gilets jaunes. Non seulement ce mouvement s’est-il fait complètement en dehors des médias traditionnels, mais encore les confrères et consœurs qui se sont rendus sur les barrages et dans les manifestations ont souvent eu à subir une hostilité marquée, quand ce n’est pas des agressions physiques pures et simples.

A telle enseigne qu’un collectif de 8 journalistes de Montpellier a créé le mouvement #Payetoiunjournaliste pour dénoncer les violences envers les journalistes. « Nous, les journalistes, sommes devenus pour certains des vendus, des traîtres, au service du pouvoir, des hommes et des femmes à « abattre » tant sur les réseaux sociaux que sur les terrain », dénoncent-ils. « Nous avons un scoop », poursuit le collectif, « le journaliste est une personne. Oui, ça peut être un pote de ton pote, un voisin ou même un ancien de ton lycée. Et le journaliste en a ras la plume, le micro ou la caméra de se faire malmener, insulter, conspuer ».

Le syndicat professionnel SNJ, également, a publié un communiqué dénonçant « ces exactions indignes d’une démocratie ».

Sans doute la profession a-t-elle sa part de responsabilité dans cette situation. En épousant depuis plus de trente ans la cause ultralibérale, beaucoup de médias nationaux se sont coupés d’une grande partie de nos concitoyens. Le sociologue Jean-Marie Charon s’est penché sur la question. Il fait remonter ce clivage à 1995 et aux manifestations contre la réforme Juppé de la Sécurité sociale. Depuis, analyse-t-il, à de nombreuses reprises, les crispations parfois violentes et l’incompréhension se sont installées entre les médias et les groupes contestataires.

Le fait que la majorité des journalistes soient issus de milieux favorisés contribue à cette déconnexion. Le fait que 90 % des médias français appartiennent à une dizaine de milliardaires n’y est probablement pas étranger non plus.

Mais rien ne saurait justifier les attaques contre une profession qui fait partie des gardiens de la démocratie.

Il est donc urgent de renouer le lien entre les journalistes et le reste de la population. La réponse se trouve avant tout dans l’éducation aux médias. Nous avons besoin d’expliquer notre métier, les conditions dans lesquelles nous travaillons, la situation économique difficile des médias… Cela nécessite parfois de repartir de la base de la base, à l’image des membres de ce club qui animent des ateliers d’éducation aux médias pour 12 jeunes avec Unis-Cité.

Autre bonne idée, celle de cette télévision publique suédoise qui a, avec beaucoup de succès, invité ses téléspectateurs à dialoguer avec ses journalistes autour d’un café.

Tant que des initiatives comme celles-ci existeront, la messe ne sera pas dite !

Céline Gonin, présidente du Club de la presse Drôme Ardèche